Pour un cap stratégique clair

Publié le par Le blog de la Gauche Anticapitaliste du Tarn & Garonne

Pour un cap stratégique clair

Crise systémique, crise politique, crise de légitimité : les conditions sont réunies pour une crise de régime avec, aux aguets, une droite radicalisée aux allures de Tea Party. Dans cette situation délétère, tout peut bouger très vite. Mais dans quelle direction ? Si nous laissions aller le cours des choses, nous pourrions nous retrouver devant une redéfinition globale du cadre politique : moins d’État, sécuritaire renforcé, opacité bureaucratique et concurrence, « gouvernance » hautement présidentialisée. Alors la régression en cours deviendrait système global ; elle prendrait durablement l’aspect d’une rupture historique majeure. Quant au visage de la droite et de la gauche, il serait bouleversé.

Il faut éviter le pire. Et il faut aller vers le mieux. Dans les conditions précitées, l’existence même du Front de gauche est hautement précieuse. Mais à condition d’être force propulsive. On sait que le rejet en soi de l’existant nourrit le ressentiment en soi, qui lui-même conduit aux solutions désespérées et régressives. Notre critique ne sera ainsi positivement perçue que si elle est franchement alternative. Ni fuite en avant libérale-populiste ni engluement social-libéral : on ne se sort durablement de l’impasse que par le haut. Or le haut, c’est indissociablement une ambition et une méthode qui rendent possible un changement complet de la donne économique, sociale et politique.

C’est là que commencent les vraies difficultés. Ce n’est pas que la gauche de gauche manque de propositions sérieuses, argumentées et chiffrées. Mais il ne suffit pas d’additionner des éléments de programme. L’alternative ne s’énonce pas par avance : elle se construit. Ce qui nous identifie est donc un projet, une façon de faire ; ce n’est pas le catalogue de ce que nous allons faire. Parler d’alternative, c’est donc d’abord suggérer une volonté commune, une cohérence possible et la méthode pour y parvenir.

Or la méthode qui relève de notre responsabilité est dans le domaine du politique : elle tourne autour des moyens de rassembler largement. Radicalité et unité : les deux ensemble, et pas séparément.

Il est certes évident que renvoyer à l’univers de la vieille union de la gauche est une impasse. La formule historique de l’union de la gauche a correspondu aux temps déjà lointains où la méthode keynésienne ne manquait pas d’efficacité. Mais ces temps ne sont plus. L’union de la gauche s’est fracassée sur le tournant socialiste de la rigueur, au début des années 1980. En tout état de cause, elle est rendue obsolète par la rupture historique qu’introduit l’ajustement social-libéral du pouvoir socialiste actuel.

Il est toutefois une autre impasse, celle qui consiste à croire qu’on peut contourner la question des médiations politiques. S’imaginer, peu ou prou, que le temps est venu d’un tête-à-tête exclusif du Front de gauche (seul en dehors du « système ») et du peuple est une illusion. Au bout du compte, elle peut finir par être plus identitaire que rassembleuse.

À certains égards, la solution moderne, appuyée sur la mobilisation populaire, serait plus proche du rassemblement populaire de 1934/35 (qui associait des dizaines d’associations politiques, syndicales, culturelles et de sociabilité) que du trio signataire du programme commun en 1972. C’est cet esprit foisonnant et pluriel qu’il faut cultiver, dans les conditions de notre temps. Si l’on veut que le peuple fasse mouvement pour imposer un nouveau cap, ce sont toutes ses forces qu’il faut stimuler politiquement, qu’elles soient partisanes ou non, individuelles ou collectives. Un front social et politique… Tout ce qui pousse le Front de gauche à se limiter à un cartel, même élargi, n’est donc pas à la hauteur des responsabilités présentes. Et d’ailleurs, ne sous-estimons pas l’ampleur de la crise : elle est si forte qu’il ne suffit plus seulement de rassembler la gauche de gauche ; il faut aussi la recomposer, voire la redéfinir, dans ses contenus, ses méthodes et ses formes. Redéfinir et réunir : les deux moments sont inséparables ; si nous ne retenions qu’un de deux termes, notre dispositif serait bancal.

Plus précisément il faut aller vers la combinaison d’une visée, d’un horizon stratégique, d’une médiation politique et d’un ou des outils pour agir efficacement. Le nouveau rassemblement Ensemble - Mouvement pour une alternative de gauche, écologique et solidaire créé fin novembre contribue à nos yeux très positivement à ce projet et il peut en être le ferment le plus décidé. Que faut-il vouloir pour le Front de gauche aujourd’hui ? Non pas une formule simple ou une simple posture, mais une démarche cohérente.

Une force active doit avoir une visée de long souffle. Elle est justifiée par la conviction qu’un statu quo est impossible. L’alternance de l’ultralibéralisme et du social-libéralisme a suffisamment montré en Europe son caractère nocif. Il faut une rupture sociale, écologique, démocratique. Un changement de cap, bien à gauche, vers une société plus humaine et autogérée : telle est l’objectif fondamental.

Pour un cap stratégique clair

Pour y parvenir, il faut un horizon stratégique : c’est celui du peuple en mouvement. Le Front de gauche n’est pas celui qui veut guider le peuple, mais une force qui entend contribuer à son rassemblement et à sa souveraineté. Les catégories populaires d’aujourd’hui sont déchirées par les inégalités, la dispersion des statuts, la division introduite par le poison mortifère du racisme. Tout cela les fragilise et en fait des spectatrices de la vie politique. Pour devenir des actrices, elles ont besoin de converger et elles ne peuvent le faire qu’en définissant un projet solidaire qui leur assure justice, égalité et dignité.

Il reste qu’un mouvement populaire reste fragile s’il ne s’exprime pas sur le terrain politique. Il a donc besoin d’une médiation. Pas besoin alors d’inventaire à la Prévert. Il faut regrouper toutes les forces, dans tous les domaines sans exception, qui ne se résignent pas à la régression sociale et démocratique, qui veulent un autre cap, qui estiment que le développement des capacités humaines est la seule base possible du lien social. Toutes ces forces, tous ces individus, devraient se retrouver dans une convergence politique, quelle qu’ait été leur attitude passée, quel que soit leur type d’engagement. Dans cette synergie, chacun gardera sa spécificité fonctionnelle, s’engagera à sa manière : l’essentiel est que l’autonomie nécessaire ne tourne pas, comme c’est trop souvent le cas encore, à la séparation, à l’ignorance ou à la méfiance que l’histoire a malheureusement installées.

Enfin, il n’y a pas de dynamique politique sans outil pour la stimuler. Cet outil, c’est le Front de gauche, dans la totalité de ses composantes. Toute construction qui se fonderait sur une partie seulement de l’arc existant serait vouée à l’inefficacité et à l’échec. Au contraire il faut l’élargir encore, par exemple au NPA, et, demain, à des secteurs socialistes ou écologiques qui en finiraient avec les hésitations et s’engageraient ouvertement dans le combat contre les politiques d’austérité. Un outil, pas une fin en soi…

Mais cet outil est précieux, au-delà des soubresauts qui le traversent parfois aujourd’hui. Si l’on a en vue un front social et politique, plus large en quantité et en qualité, il faut déjà veiller à sa pérennité. Il faut donc écarter tout ce qui le freine et travailler à son adaptation et à son développement. Tout d’abord, nul besoin que le débat stratégique nécessaire tourne au pugilat. Plus largement, les formes doivent s’adapter. Un cartel n’est pas assez cohérent pour être une force à la hauteur des enjeux. Un parti à l’ancienne, irrespectueux de la diversité des traditions, des sensibilités et des pratiques, n’est pas adapté à la crise des formes anciennes de la politique, aux attentes nouvelles de politisation autrement. Le FDG ne doit donc pas être un parti ou un cartel de partis, mais une structure mixte, plurielle, ouverte, citoyenne, qui fédère des organisations existantes et qui accueille des individus. Pour l’instant, ni sa structure formelle ni son fonctionnement ne correspondent pleinement à sa nature nécessairement hybride. Une occasion d’aller dans ce sens a très probablement été manquée dans les semaines qui ont suivi la présidentielle, mais la nécessité demeure.

Ne cachons pas que tout cela devrait, à un moment ou à un autre, remettre en question la disposition actuelle des forces politiques, reflet d’une histoire dont tout n’a pas disparu, mais que rien ne prédispose à se reproduire en l’état, pour les siècles des siècles. À sa manière, dans l’espace qui est le sien, le rassemblement Ensemble est un essai pour dépasser l’émiettement sans se fourvoyer dans l’uniformité. Mais ce rassemblement partiel n’est pas en lui-même la résolution de l’équation. C’est l’ensemble de la gauche de gauche qui doit se poser les questions les plus fondamentales. De quelle force politique a-t-on besoin pour surmonter l’hégémonie sociale-libérale de la gauche ? Dans quel horizon stratégique, national, européen, mondial ? Dans quelle relation avec le mouvement social, avec la myriade des attentes et engagements individuels ? En produisant quelles formes politiques adaptées à une ère radicalement nouvelle ?

Saluant la création d’Ensemble, Jean-Luc Mélenchon y a vu le signe que le débat de fond pouvait et devait reprendre. On ne peut que s’en réjouir. Et on peut être certain qu’au PCF et ailleurs des forces sont et seront disponibles pour s’y atteler. Avant qu’un débat sérieux ne s’amorce, nul ne peut préjuger de son succès. Mais l’échec est assuré par avance, si la volonté de le conduire ne s’exprime pas. Ce serait un gâchis impardonnable.

Partout, dans la société, se dit la conviction plus ou moins raisonnée qu’il faut de la rupture et donc de la novation. Le Front de gauche doit s’identifier à ce désir. Nous ne sommes pas sur le terrain de la répétition du passé, fût-ce en mieux. Nous voulons la rupture avec le capitalisme en crise systémique. Nous voulons la rupture avec le libéralisme et ses variantes plus ou moins radicalisées. Nous voulons la rupture avec le social-libéralisme et ses renoncements, sources d’asphyxie pour la gauche et le mouvement populaire. Mais nous voulons aussi une novation assumée, dans les méthodes et dans les formes, de ce qui a été la gauche historique, y compris la plus radicale.

Samy Johsua et Roger Martelli - Vendredi, 13 Décembre, 2013

http://blogs.mediapart.fr/blog/roger-martelli/111213/pour-un-cap-strategique-clair

Pour un cap stratégique clair