Et si l'on parlait plutôt de Total ?

Publié le par Le blog de la Gauche Anticapitaliste du Tarn & Garonne

Et si l'on parlait plutôt de Total ?

La disparition accidentelle du PDG de Total, Christophe de Margerie, a suscité une avalanche de réactions éplorées et louangeuses des milieux patronaux, journalistiques et politiques. Les seuls commentaires critiques, portant sur son action, ou sur l'activité de Total dans le monde, ont immédiatement été disqualifiés ou ensevelis sous des tombereaux d'insultes.

Grand capitaine d'industrie, figure emblématique de l'entrepreneur français, porte-parole infatigable de l'industrie énergétique, homme de dialogue autant que de pouvoir, dirigeant particulièrement admiré de ses collaborateurs... les louanges posthumes n'ont certainement pas manqué après l'accident qui a coûté la vie à Christophe de Margerie. Ses collègues du Medef ont écrasé quelques larmes bien visibles sur les plateaux de la télévision et les politiques de droite et du PS, dans une quasi unanimité touchante, nous ont fait part de leur tristesse devant cette grande perte pour la France et son développement industriel. Disons-le tout net, si la disparition brutale d'une personnalité publique d'importance peut causer quelque émotion, la personnalité privée Christophe de Margerie nous indiffère assez. On nous a dit, à longueur de colonnes, qu'il était un homme cultivé, énergique, charmant, soit. Loin de nous l'idée de remettre en cause de telles appréciations, ses proches dans la peine méritent comme tout un chacun le respect. On nous a également dit, devant tous les micros, qu'il était un patron particulièrement accessible à ses collaborateurs, qu'il pratiquait un management humain..., laissons les syndicats de Total nuancer ce jugement comme ils l'entendent et venons en à la question d'importance : si nous parlions plutôt de Total.

Le groupe pétrolier est aujourd'hui la deuxième capitalisation boursière du CAC 40 (104 milliards d'euros), son chiffre d'affaires 2013 s'élevait à 189,5 Mds d'euros et sont résultat à 8,4 Mds. Après la privatisation d 'Elf et le rachat de Petrofina en 2009, Total est la seule entreprise pétrolière française, en situation de monopole. Elf était l'héritière d'une compagnie publique, les Pétroles d'Aquitaine, créée à l'origine au début de 1940 pour sécuriser l'approvisionnement en carburant des armées françaises. Quant à Total, elle provient de la privatisation, sous le gouvernement d'Edouard Balladur, de la Compagnie Française des Pétroles, société à capitaux publics fondée à l'orée de la Première Guerre Mondiale. Elle est donc, purement et simplement, le produit du transfert au privé, de l'activité de recherche et de production publique engagée depuis des décennies et mis au service de la spéculation et des manœuvres entre les « majors » impérialistes. La mise sous contrôle public et la reconversion des activités de Total doit donc donc figurer en bonne place dans tout programme de gouvernementde gauche, écologiste et solidaire.

Avec Elf, Total hérite d'une structure liée à toute la barbouzerie française, officielle ou non et à toutes les officines de la Françafrique. Structure relais des intérêts géo-politiques de la France, Total développe de nombreux projets industriels en Afrique, comme, par exemple au Congo-Brazzaville, au Ghana, en Côte d'Ivoire, en obtenant l'accord des dictateurs locaux. Les opérations africaines de Total lui ont rapporté, en 2013, 2,86 Mds de bénéfice net.

Les activités de recherche et de forage en Afrique et sur d'autres continents, ainsi que les transports par pétroliers (affaire de l'Erika par exemple) ont engendré, par ailleurs, des dommages écologiques importants, dénoncés sans cesse par les organisations locales et les ONG et qui ont donné lieu à de nombreux procès.

Sans multiplier les exemples, Total étend sans cesse son champ d'activités. Persuadé que l'on trouvera encore assez de pétrole et de gaz pour des centaines d'années, l'entreprise mise sur ce type de développement, particulièrement en Russie, dont Total prétend faire son principal territoire pétrolier et gazier. Cette orientation n'empêche pas Total d'investir 1,4 Mds de dollars dans le rachat d'un fabriquant américain de panneaux solaires, mais il ne faut pas y voir l'ébauche d'une stratégie de rechange. Les énergies renouvelables ne représentent pour le groupe qu'un complément et, en aucun cas, une alternative à court ou moyen terme aux hydrocarbures, d'autant que son défunt Président ne cachait pas son intérêt croissant pour les gaz de schiste, et la technique de fracturation hydraulique.

Au lendemain du décès de Christophe de Margerie, il ne fait pas bon de rappeler, d'une manière abrupte, ces vérités. Gérard Filoche en a fait l'expérience. Auteur d'un tweet critique, il a vu déferler plusieurs centaines de réactions plus ou moins ordurières, téléguidées par l'UMP , exigeant son exclusion du PS. Exigence relayée par certains dirigeants de son parti qui ont jugé plus digne, plus dans la ligne « pro business » du gouvernement Valls, de joindre leurs voix au choeur patronal attristé que de s'interroger sur l'orientation énergétique de la France et de l'Europe et du rôle qu'y joue Total. Il est vrai que l'exclusion semble être à la mode ces jours-ci au PS, quand Stéphane Le Foll demande le départ de Benoît Hamon après son abstention lors du vote du budget, ou que Manuel Valls parle de se débarrasser de la gauche « archaïque » , voire de changer le nom de son parti.

Mathieu Dargel

Et si l'on parlait plutôt de Total ?
Et si l'on parlait plutôt de Total ?