Egypte, la révolution continue?

Publié le par Le blog de la Gauche Anticapitaliste du Tarn & Garonne

Egypte, la révolution continue?

Egypte : mobilisation sans précédent le 30 juin....

Chronique de la situation en Egypte...

1. Egypte, 16h30. Selon des sources militaires, il y aurait plus de trois millions de manifestants anti-Morsi à l’heure actuelle en Egypte, donc bien plus vers 19 ou 20 heures.

On signale de très nombreuses villes ou villages où les bâtiments administratifs ont été couverts d’une banderole «Fermés sur ordre de la révolution». Un militant syndical signale que dans la plus grande usine du pays à Mahalla, Misr Spinning Company, il n’y avait ce matin pas plus de 10% des effectifs normaux (dimanche est un jour travaillé normal en Egypte)

2. Egypte : 17h10. Il y a de très nombreuses manifestations dans les villes et villages d’Egypte, une à chaque coin de rue au Caire selon Jack Shenker le correspondant du Guardian. A Mahalla, 500’000 habitants, un porte-parole des anti-Morsi déclare plus de 1 million de manifestants… c’est peut-être exagéré.

Tahrir à 17h00. Il fait 40°. D’après des témoins, la place est pleine on ne peut plus l’approcher à moins de 2 km. Et de nombreuses manifestations en sont à peine à démarrer. La ville semble s’être vidée dans les rues.

3. Egypte 18h00. Devant le Palais présidentiel Al Ittihadiya à Heliopolis, lointaine banlieue cairote, une foule anti-Morsi comme on n’en a jamais vu. L’ambiance pour le moment est festive, familiale. Des gens crient: «On sent l’odeur des lacrymos de Rio et Taksim»… «Nous voulons des femmes à tous les postes du gouvernement», et rugissent «nous voulons la chute du régime». Tous les ponts du Caire sont bloqués. Une foule de primo- manifestants avec leurs familles. Et les gens continuent à affluer. Tous les cafés, magasins, petits ou gros, taxis ont des affiches anti-Morsi. Quelques bus circulent, à l’intérieur les gens scandent «dégage, dégage…»

4. Egypte 19h00. Il y a nettement plus de monde dans les rues que les 25 et 28 janvier 2011 au plus fort des premiers jours de la révolution qui a fait tomber Moubarak. Tout le monde dit que c’est «énorme, incroyable, ahurissant»… La pétition «Rébellion» pour que Morsi dégage aurait récolté 22 millions de signatures selon ses organisateurs contre 13 millions d’électeurs pour Morsi aux dernières présidentielles. Des marches des habitants de villages entiers se font en direction des villes, Mansoura, Mahalla…Cela marche partout. L’Egypte entière semble dans la rue. Devant le Palais présidentiel, plusieurs centaines de milliers de personnes, autant place Tahrir et des manifestations dans toutes les villes d’Egypte. Beaucoup de gens qui ne sont pas dans la rue depuis leurs fenêtres agitent des drapeaux et applaudissent. Le slogan le plus largement repris est «dégage» avec le petit carton rouge où il y a aussi marqué «dégage». D’autres comme «Musulmans et chrétiens ensemble sont la révolution», «les femmes sont la fierté de l’Egypte» et «regarde, regarde, voilà la révolution des moutons», allusion aux termes péjoratifs dont les Frères Musulmans affublent les manifestants les accusant d’avoir une obéissance aveugle envers leurs dirigeants.

Des manifestations d’Egyptiens et Italiens en… Italie contre Morsi à Rome, Milan,Turin, Naples, Palerme.

5. Egypte, 30 juin, 20 heures: Les journaux, officieusement, estimaient le nombre de manifestants à 7 millions vers 19 heures, soit plus que les 18 jours insurrectionnels cumulés de janvier 2011. Les manifestants sont de tous âges, des enfants aux vieillards, pas seulement des manifestations de jeunes, le palais présidentiel à Héliopolis est complètement encerclé. Jusque-là les manifestations étaient bon enfant, mais depuis 19henviron, des affrontements violents contre les pro-Morsi sont signalés à Moqqatam au Caire, à Tanta, à Beni Suef et à Sharqeya… L’armée et la police ont disparu des lieux d’affrontements et ne défendent pas les locaux des Frères Musulmans alors que leurs hélicoptères Apache survolent les villes.

6. Egypte 30 juin, 21 heures: Les gens descendent au pied de leur immeuble et manifestent, restent là, discutent, scandent des slogans. Joie immense lorsque place Tahrir, la foule apprend que le siège central des Frères Musulmans est en train de brûler. Le gouverneur Des Frères Musulmans de Gharbiya assiégé dans son immeuble de gouvernorat a fui par une porte de derrière, les manifestants lui donnent une heure pour fuir la région du gouvernorat. Devant le palais présidentiel au Caire (héliopolis) des manifestants quittent la manif et rentrent chez eux, mais de plus nombreux encore continuent à affluer. C’est un immense jour de fête en Egypte, les gens sourient, chantent, s’embrassent, on tire des feux d’artifice…

Le Front du 30 juin appelle les manifestants à rester sur les places et à commencer une grève générale illimitée (dimanche est un jour travaillé en Egypte, les présents sont donc pour la plupart en grève). 250 bateaux de pêche à Damiette manifestent dans l’eau contre Morsi, pareil à Luxor ou des centaines de bateaux chargés de monde descendent le Nil contre Morsi.

7. Egypte, 30 juin, 23 heures: Des médias égyptiens ainsi que de source militaire, on estime (selon le journal Shorouk) qu’il y a eu aujourd’hui, à cette heure, 17 millions de manifestants anti-Morsi dans les rues des villes et villages d’Egypte. La chaîne CNN annonce 33 millions d’Egyptiens dans les rues. D’autres disent 9 millions… Quoi qu’il en soit, c’est probablement la plus grande manifestation que le monde ait connue dans son histoire. C’est l’hiver islamiste, comme disaient les journalistes…!

Quatre sénateurs des Frères Musulmans ont fui l’Egypte pour aller se réfugier à Londres avec leurs familles. 60’000 à 80’000 personnes auraient fui l’Egypte en avion durant les 48 dernières heures. Des hélicoptères militaires jettent des drapeaux égyptiens sur la foule place Tahrir, ce qui est interprété par les manifestants comme un soutien de l’armée. La plupart des manifestants dénoncent essentiellement le manque de travail, les coupures d’électricité et d’eau et le rationnement de l’essence. Les applaudissements place Tahrir à l’annonce que le siège central des Frères Musulmans brûle à Moqqatam ressemblent à ce qui s’était passé le 28 janvier 2011 quand la foule a appris que le siège du PND (Parti National Démocratique) de Moubarak brûlait. Après le 30 juin, le FSN (Front de Salut National) déclare qu’une progression de la protestation serait une grève générale illimitée sans qu’on comprenne s’il y appelle ou pas; toutefois demande de rester sur les places et dans les rues jusqu’à ce que le régime renonce.

8.- Egypte, 1er juillet, 01 h. Et maintenant ? La BBC a confirmé ce que disait CNN, 33 millions de manifestants le 30 juin en Egypte, déclarant que c’est la plus grande manifestation de l’histoire de l’humanité. Il y aurait donc eu trois fois plus de manifestants que d’habitants en Tunisie, presqu’autant que de citoyen de l’Etat espagnol… Le chiffre de 33 millions est contesté (Reuters dit 14 millions), mais la grande majorité s’accorde pour dire que c’est la plus grande manifestation. Et bien qu’il soit passé minuit, la foule ne cesse de grandir… même si d’autres repartent chez eux. Le mythe que les vieux veulent la stabilité s’effondre, beaucoup de manifestants âgés. Tout le monde se demande s’il va aller au travail demain (1er juillet). Le Front du 30 juin, appelle à des sit-in non seulement à Itthidiya (Palais présidentiel d’Héliopolis), mais aussi devant le Sénat et devant le palais El-Quba, ainsi qu’à la désobéissance civile à partir de demain jusqu’à ce que Morsi dégage. Les dirigeants de la campagne Tamarod (Rébellion) ont donné un ultimatum: il s’en va avant mardi 2 juillet 17h00 où alors Tamarod appelle à la désobéissance civile générale.

Les manifestants du palais présidentiel pointent leurs lasers sur un hélicoptère militaire. Signifient-ils ainsi qu’ils lui tirent dessus? Ou l’acclament-ils? En fait, il y a une salve d’applaudissements dès qu’un hélicoptère passe.

Jacques Chastaing. Publié sur le site alencontre.org

Egypte, la révolution continue?

Derrière la mobilisation politique en Egypte, la question sociale omniprésente

5 544 manifestations en cinq mois, 42 manifestations par jour. Ces chiffres, extraits d’un rapport cité par le Dailynews Egypt, montrent à quel point l’Égypte bouillonne en cette année 2013. Les chiffres de mars, avril et mai (1 354, 1 462 et 1 300 manifestations) font de ce pays celui qui a connu le plus de mobilisations dans le monde durant cette période. Les deux tiers de ces manifestations concernent des questions économiques et sociales, trop souvent éludées dans la presse au profit des combats politiques.
Professeur à la School of Oriental and African Studies à Londres, le chercheur Gilbert Achcar a publié au printemps 2013 Le Peuple veut (Actes Sud, chroniqué dans Mediapart) dans lequel il tente d’analyser les causes sociales des révolutions ainsi que les structures économiques des pays arabes, et d’anticiper leur évolution.

Pourquoi tant insister sur la question sociale en Égypte, en cette période des troubles politiques majeurs ?

Gilbert Achcar. Il y a une habitude des médias qui consiste souvent à ne prêter attention qu’au politique. En Égypte, la vague de grèves qui a précédé le soulèvement de janvier 2011 est toujours là. On peut voir notamment au travers
des communiqués réguliers des syndicats indépendants l’intensité des diverses actions sociales. Durant l’époque nassérienne, l’Égypte avait connu un embrigadement à la soviétique, à la manière de la plupart des régimes dictatoriaux : les libertés et l’autonomie syndicale sont supprimés et les syndicats deviennent directement liés à l’État. Cette situation avait été maintenue en l’état, malgré toutes les privatisations et mesures de libéralisations économiques prises depuis l’époque du président Sadate. Cela arrangeaient bien le pouvoir de maintenir la classe égyptienne sous contrôle en gardant la main sur les syndicats. Avec la vague de grèves impressionnante qui s’est enclenchée à partir de 2005, et qui a atteint un « pic » en 2008, on a vu se former le premier syndicat indépendant en Égypte depuis les années 1950. C’est un syndicat dans un secteur modeste, celui des collecteurs de l’impôt foncier, mais plusieurs dizaines de milliers d’Égyptiens y ont adhérés. Il est devenu le noyau de l’effort en Égypte pour construire un mouvement syndical indépendant, cette organisation ayant réussi à arracher sa légalisation, après moult sit-in devant le parlement,
en profitant de la visite d’une délégation du Bureau international du travail (BIT) au Caire. D’autres syndicats ont tenté de faire de même sous Moubarak, sans succès. C'est pour cela que je n’ai pas cessé de souligner qu’en Égypte, le soulèvement de 2011 n’ était pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. Ce fut véritablement le point culminant d’un processus de radicalisation sociale.

Que sont devenues ces forces syndicales au lendemain du renversement du président Hosni Moubarak ?

Les syndicalistes ont pu généraliser leur action, et l’on a vu émerger une nouvelle centrale syndicale, la fédération égyptienne des syndicats indépendants (FITU en anglais), qui a d’ailleurs fait scission quelques mois plus tard, pour aboutir à la création d’une seconde fédération. La FITU revendique aujourd’hui 2 millions d’adhérents. Il y a donc un nouveau mouvement syndical en Egypte, indépendant et très radical, un peu à l'image du syndicat Sud en France,
en plus massif évidemment. Ce mouvement syndical est d'ailleurs parvenu à ce que l’organisation internationale du travail (OIT) mette sur liste noire l’Égypte dont le gouvernement Morsi a refusé d’entériner les libertés syndicales reconnues internationalement tout en maintenant un cadre légal répressif et non démocratique. C’est un des aspects de la profonde continuité entre le gouvernement Morsi et le régime Moubarak.

Comment les Frères musulmans, une force politique de masse, agissent-ils auprès des syndicats ?

Les Frères musulmans ont laissé de côté les syndicats indépendants, qui portent une radicalité sociale contre laquelle ils se sont toujours opposés. Ceux qu’ils noyautent, ce sont les syndicat officiels, dont ils essaient même de s’emparer en plaçant leurs membres aux postes-clés. C’est la raison pour laquelle ils souhaitent maintenir ce cadre légal antidémocratique. En outre, les syndicats officiels – auxquels l’adhésion était obligatoire sous l'ancien régime, et que l’on voudrait maintenir dans ce même statut – ont incomparablement plus de moyens que les indépendants, et surtout la FITU.
Depuis la chute de Moubarak, les Frères musulmans ont toujours condamné ce qu’ils désignent comme « des grèves catégorielles », une manière d’opposer l’intérêt de la classe ouvrière égyptienne à l’intérêt national.

Depuis 2011, quelles sont les grandes luttes et gains sociaux des forces indépendantes ?

Les grèves touchent ou ont touché presque tous les secteurs, privés comme publics, de l’industrie comme des services. Il y a eu une grève considérable des transports publics. Tous les jours se mènent des batailles dans les entreprises privées ou publiques du pays. Une des grandes revendications porte sur les salaires minimum, mais aussi maximum, car c’est l’une des particularités de l’histoire syndicale égyptienne que d’avoir imaginé un salaire maximum.
Mais il n’y a pas eu récemment de bataille sur un thème unificateur au niveau national. Les luttes sociales sont pour l’heure davantage sectorielles ou locales, que nationales.

Quelle politique économique et sociale a été appliquée par les Frères musulmans?
Il y a une continuité entre l’ancien régime, la transition des militaires et cette année de gouvernement Morsi. Sur le plan social et économique, il n’y a eu aucun changement. Le gouvernement formé par Morsi s’est inscrit dans la ligne des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) dont il partage le diagnostic sur le pays et la nécessité de déréguler. Le gouvernement a donc accepté les conditions du FMI pour obtenir des prêts, mais, dans le contexte politique actuel, il n’est pas en mesure de les imposer. Ce fut notamment le cas pour la suppression de la subvention aux produits de premières nécessités : il y a eu une tentative de la faire passer, mais elle fut vite anéantie par un démenti publié sur la page Facebook de Morsi annulant les mesures annoncées par son gouvernement quelques heures auparavant. Les négociations avec le FMI sont donc au point mort.

Le gouvernement est coincé dans sa logique néolibérale, et tente de gagner du temps jusqu’à la prochaine échéance électorale, grâce notamment aux prêts du Qatar. Dans un pays qui vit un tel bouillonnement social – où le capitalisme est davantage concentré vers le profit rapide que vers le développement industriel ou durable – une logique économique qui considère que le pivot, c’est le secteur privé, est forcément vouée à l’échec. Car il n’y a pas les conditions qui permettraient au secteur privé de relancer les investissements et l’économie dans son ensemble. En outre, les Frères musulmans ne sont pas sortis de leur logique d’actions caritatives, qui leur permettent d’évacuer les questions des droits sociaux et celle du rôle de l’État dans la justice sociale et la relance économique. Cette logique entre en collision avec le diagnostic que vous faites d’un sousinvestissement chronique des économies du Maghreb et du Moyen-Orient depuis plusieurs décennies, et de l’Égypte en particulier. Sur la base des chiffres des institutions internationales, et dans une démarche comparative avec les autres ensembles géographiques de l’espace afro-asiatique, on voit bien qu’il y a un blocage du développement dans le monde arabe sur les dernières décennies, au moins depuis les années 1970. Ce blocage est générateur d’un chômage record, notamment chez les jeunes, une caractéristique de la région et l’une des raisons fondamentales de l’explosion sociale et des révolutions en cours. En cherchant où se situe le problème, on voit que ce frein au développement est en rapport avec un taux d’investissement nettement plus bas dans la région qu’ailleurs. Et ce faible taux est dû à un retrait de l’État depuis le tournant des années 1970, selon une logique qui donne la priorité au secteur privé. Sauf que dans les pays arabes, et en Égypte en particulier, le secteur privé n’a pas répondu à l’appel, du fait de sa nature même et de sa logique de profit à cours terme. Voilà le fond du problème : quelle que soit la perspective politique que l’on privilégie, l’Etat a un rôle central à jouer dans la relance économique et le développement, ne serait-ce que pour créer les conditions de l’émergence d’un véritable secteur privé, capable et désireux d’investir dans le pays.

Au lieu de s’endetter à hauteur de 18 milliards de dollars auprès du Qatar, le gouvernement devrait se tourner vers les fonds dont dispose déjà le pays. Les milliards accumulés par détournements des fonds publics sous Moubarak par les grandes familles auraient pu être nationalisés avec le consentement de l'opinion publique. Au lieu de cela, les militaires, puis les Frères musulmans, ont négocié des compromis avec ces grandes familles, pour poursuivre dans la même logique économique.

L’opposition politique égyptienne actuelle est-elle en mesure de se saisir de ces enjeux ?

C’est tout le problème que constitue une opposition très bigarrée. Le Front du salut national est extrêmement hétérogène : il va d’un pan de l’ancien régime représenté par Amr Moussa, à Al Baradeï, qui n’a pas véritablement de programme économique, jusqu’ à Hamdine Sabahi, le troisième homme de la présidentielle, un nassérien de gauche. Les perspectives sont donc très différentes, et on l’a vu lors de la dernière visite du FMI au Caire : tandis que les partisans de Sabahi manifestaient contre la délégation internationale, Amr Moussa reprochait au gouvernement de ne pas mettre en pratique les recommandations du FMI. Sur la question sociale, c’est donc le grand écart. C’est d’ailleurs ce qui, à mon sens, limite la crédibilité de ce front, et permet aux partisans des Frères musulmans de mettre tout le monde dans le même sac sous l’étiquette de l’ancien régime. Tout le paradoxe actuel est là : alors que la question sociale est le terrain sur lequel les Frères musulmans sont les plus faibles, ce type d’opposition est pour l’heure incapable de proposer une alternative cohérente.

URL source: http://www.mediapart.fr/journal/international/290613/derriere-la-mobilis...

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