La CFDT aux prises avec sa base chez Sanofi

Publié le par Le blog de la Gauche Anticapitaliste du Tarn & Garonne

La CFDT aux prises avec sa base chez Sanofi

Le 29 janvier dernier, près du ministère du travail, à Paris, à l’initiative du collectif Licenci’elles, plusieurs centaines de salariés défilaient pour rappeler François Hollande à ses promesses. Tout en réclamant une loi contre les licenciements boursiers, leur cheval de bataille, ils dénonçaient l’accord national interprofessionnel sur la réforme du marché du travail, « le compromis de la honte qui précarise le salarié et facilite les licenciements », signé deux semaines plus tôt par les partenaires sociaux.

Dans le cortège : principalement des bataillons de la CGT et de Force ouvrière, les deux syndicats non signataires ; des figures de la gauche de la gauche, comme Olivier Besancenot et Philippe Poutou du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), mais aussi une centaine de salariés de Sanofi, militants de la CFDT, le principal signataire de l’accord sur l’emploi. Signe du grand écart qui peut exister entre la base et le sommet d’une organisation syndicale, les employés du quatrième groupe mondial pharmaceutique n’ont pas suivi ce matin-là la ligne de leur organisation.

Non seulement la centrale désapprouvait cette manifestation, mais pour elle, l’accord du 11 janvier est « une bonne base » pour encadrer les licenciements injustifiés type boursiers. Une position loin de faire l’unanimité dans le rang des cédétistes Sanofi. Chez le leader français de la pharmacie, la CFDT n’est pas une petite section. Aux dernières élections professionnelles, la centrale a totalisé plus de 30 % des voix. Syndicat majoritaire, il représente quelque 8 000 salariés sur les 28 000 que compte le groupe.

Aujourd’hui, la rupture entre les cédétistes Sanofi et leur direction porte un nom : Pascal Vially, coordonnateur de la liaison CFDT, sorte de trait d’union entre les délégués syndicaux et centraux des différents sites Sanofi. Salarié de la division “vaccins” à Marcy-l’Étoile dans le Rhône, syndicaliste depuis les années 2000, il est l’un de ceux qui, médiatiquement, mènent le combat, depuis que le groupe a annoncé en juillet 2012 un plan de restructuration prévoyant d'ici à 2015, 914 suppressions nettes d'emplois et 800 redéploiements par mobilité interne, dont 300 d'une région à l'autre.

La CFDT aux prises avec sa base chez Sanofi

« Quand on n’est pas dans la ligne, on est un vilain gauchiste »

Isabelle Faivre, la secrétaire du syndicat CFDT chimie énergie Rhône-Alpes Ouest (SCERAO), n’a pas goûté de voir un responsable de haut niveau dans les journaux télévisés plaider, au côté de l’extrême-gauche, pour une loi qui interdise les licenciements de confort aux actionnaires des grands groupes. Et qui plus est, allant jusqu'à remettre en cause l’accord sur l’emploi. En comité directeur fédéral, elle l’a fait savoir, condamnant l’attitude de Pascal Vially et demandant sa radiation. Les échos de cette réunion ont vite circulé, suscitant l’indignation de syndicalistes et obligeant Isabelle Faivre à rédiger un courrier d’explication. Qui n'a rien calmé.

Dans cette missive du 15 février, que Mediapart s’est procurée, la responsable du SCERAO ne parle pas de radiation, mais d’« un comportement qui n’a pas sa place à la CFDT ». Elle redit « sa stupéfaction d’apprendre que dans la liaison de Sanofi, la signature de l’ANI par la CFDT est remise en cause par le coordonnateur car la décision n’aurait pas été prise démocratiquement ».

Elle regrette aussi « sa présence aux côtés du responsable du NPA et du Front de gauche dans une manifestation qui aurait de toute façon eu une forte couleur politique vu les personnalités de Poutou et Mélenchon ». « Le coordonnateur, délégué fédéral, doit avoir la présence d’esprit qu’un amalgame allait être fait par les médias et les lecteurs. Comme l’ont rappelé nos secrétaires généraux confédéraux, il n’y a pas que l’extrême droite qui véhicule des idées extrémistes et simplistes. Dans nos formations “Bienvenue à la CFDT”, on rappelle qu’un cas d’exclusion est par exemple l’affichage d’un adhérent au côté de l’extrême droite », écrit-elle.

Les militants CFDT Sanofi n’ont pas tardé à réagir, furieux de constater que « dans la maison, quand on n’est pas dans la ligne, on est un vilain gauchiste ». Depuis une dizaine de jours, une pétition (à retrouver ici) circule en soutien à Pascal Vially. « Si consulter la base comme le fait en permanence Pascal n’est pas de la démocratie ; si tenter de négocier et se battre pour parvenir à une loi anti-licenciements financiers n’est pas de l’émancipation ; si soutenir les entités de Sanofi et les entreprises concernées par des licenciements financiers et boursiers n’est pas de la solidarité ; si exprimer son désaccord avec sa confédération à la signature d’un accord pour l’emploi n’est pas faire preuve d’indépendance et d’autonomie, alors nous n’avons rien compris aux valeurs de la CFDT et ne sommes pas dignes de notre syndicat », écrivent les élus et adhérents de la CFDT Sanofi.

La CFDT aux prises avec sa base chez Sanofi

« Il doit faire son autocritique »

Véronique Pamiès, déléguée centrale pour la santé animale sur le site de Lyon, membre depuis dix ans de la CFDT, fait partie des instigateurs de cette pétition. Elle est l’une des rares militantes à parler à visage découvert car « c’est très dur de faire valoir des positions qui ne sont pas dans la ligne confédérale ». Elle raconte « le malaise » autour de l’accord sur l’emploi, « les collègues qui veulent rendre leurs cartes » : « Quand nous avons organisé en février un décryptage du texte avec un spécialiste du droit, même ceux qui se disaient : “cet accord est bien”, sont repartis en se disant “il est mauvais”. » Il faut dire que la CFDT Sanofi n’avait pas invité n’importe quel juriste, Fiodor Rilov, l’avocat de la CGT, la bête noire des DRH, qui annule plan social sur plan social. De quoi aggraver son cas auprès de la direction…

Pascal Vially, lui, ne veut pas commenter l’affaire ni l’accord sur l’emploi à l’heure où la question de sa place à la CFDT est posée. Il tient seulement à préciser qu’il n’est pas « un communiste révolutionnaire anarchiste », et s’indigne de voir « la CFDT mettre sur le même pied les idées du FN et celles de l’extrême gauche ». « La manifestation du 29 janvier n’avait qu’un objet : une loi contre les licenciements boursiers. Elle était au-dessus de toute étiquette politique et syndicale. C’était un front de salariés victimes de leurs actionnaires. Si Poutou était là, ce n’est pas en tant qu’ancien candidat à la présidentielle pour le NPA, mais en tant que CGT Ford », rappelle-t-il.

Isabelle Faivre, la secrétaire du syndicat chimie Rhône-Alpes, veut dédramatiser, mais ne retire rien à sa lettre : « Je n’ai pas demandé la radiation de Pascal Vially. C’est un militant extraordinaire. Mais il doit faire son autocritique. Il a commis une erreur de débutant en manifestant au côté de l’extrême gauche. Il sera sans doute reçu par la fédération qui lui demandera d’apprendre à tourner sa langue dans sa bouche car les extrêmes ne font pas partie de nos valeurs. Le NPA, le Front de gauche sont des extrêmes. Si les politiques présents ce jour-là avaient été du PS, de l’UMP ou du centre, cela n’aurait pas choqué. »

Le débat interne est loin d’être clos… Les cédétistes Sanofi pourront en débattre avec le patron, Laurent Berger, qui doit réunir prochainement le comité de liaison. Son service de communication dit ne pas avoir eu connaissance de ce dossier et rappelle qu’aucune tête ne dépasse dans les régions et les fédérations à propos de la signature sur l’accord sur l’emploi : « Hormis un militant par-ci, par-là, l’accord a été très bien accueilli. Nos militants sont fiers que la CFDT l’ait signé. »

Médiapart - 07 mars 2013 | Par Rachida El Azzouzi

La CFDT aux prises avec sa base chez Sanofi
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