L’accord national interprofessionnel et les complémentaires santé : le billard à 3 bandes du Medef

Publié le par Le blog de la Gauche Anticapitaliste du Tarn & Garonne

L’accord national interprofessionnel et les complémentaires santé : le billard à 3 bandes du Medef

L’accord national interprofessionnel (ANI) sur la flexisécurité signé le 11 janvier dernier est largement commenté sous l’angle des reculs concernant les droits des salariés en matière de contrat de travail et les facilités offertes au patronat pour licencier.

La question de la généralisation d’une complémentaire santé y a été présentée comme une compensation.

D'après les estimations effectuées, le coût en serait de 4 milliards d’euros.

Cela amène plusieurs remarques. Pour les nombreux secteurs qui disposent déjà de complémentaires (74% des salariés), cela n’apportera pas grand chose.

Alors que les dispositions dégradant massivement les règles du contrat de travail devraient être rapidement mises en place, celles sur la couverture santé ne devraient voir le jour qu’après un processus de négociation dont la limite est fixée en juillet 2014. Les entreprises auraient ensuite un délai impératif de dix-huit mois pour mettre en œuvre un éventuel accord ce qui amène en janvier 2016 !

La moitié du coût incomberait aux salariés et donc viendrait en déduction du salaire net, ce qui est inacceptable. Au passage, notons qu’actuellement le taux moyen de financement par l’employeur d’une complémentaire santé obligatoire d’entreprise est de 60%.

Par ailleurs, les prestations que prendraient en charge ces complémentaires santé se négocieront branche par branche, ce qui est toujours inacceptable

Cependant on peut se demander pourquoi le patronat se dit prêt à en financer la moitié soit environ 2 milliards d’euros ? Pourquoi finance-t-il déjà 74% des salariés ? S’agit-il réellement d’une compensation ?

Quand on connaît la rengaine mille fois répétée des « charges trop lourdes qui pèsent sur les entreprises », on peut être surpris. On n’ose pas imaginer le tollé qui se serait produit si pour répondre en partie aux besoins de financement de la sécu on avait envisagé une augmentation des cotisations patronales de ces montants.

L’explication est à chercher du côté du Medef lui-même…

L’accord national interprofessionnel et les complémentaires santé : le billard à 3 bandes du Medef

Bouclier sanitaire

En 2010, Médiapart dans un article de Laurent Mauduit révélait l’existence d’un long rapport rédigé par un groupe de travail santé, interne au Medef.

On pouvait y lire dans un passage où le Medef expliquait sa vision de ce qu’il appelle un bouclier sanitaire :

« Le bouclier sanitaire présente de plus un risque, notamment à court-moyen terme de désincitation des assurés à se couvrir en souscrivant une complémentaire santé même si cela n’est pas logique en raison de la persistance des restes à charges…

Le système français qui repose sur deux piliers (base, complémentaires) aura de plus en plus besoin du second car à long terme il est raisonnable de penser que les Français soient responsabilisés sur leur consommation via le second pilier, le premier pilier relevant de la solidarité nationale, n’intervenant que lorsque l’assuré ne peut plus faire face, en raison de ses dépenses et de ses moyens, à sa situation médicale objectivée. Le champ et les modalités du bouclier sanitaire devraient être aménagés en préservant l’intérêt de s’assurer pour les usagers… »

Une vraie vision stratégique qui fixait un objectif en identifiant les risques. Une proposition venait juste après : « il faut parvenir à une vision globale et sans doute élargir progressivement le champ des complémentaires. Il faut éviter de mettre en péril les complémentaires (par des taxes excessives par exemple) car elles apportent des solutions sur lesquelles les pouvoirs devront compter dans les années à venir en distinguant plus nettement le champ de la solidarité et le champ de la mutualisation responsabilisation ».

L’idée essentielle est d’imposer progressivement la place des complémentaires. L’ANI en est une parfaite illustration.

On élargit progressivement le champ des complémentaires et cette stratégie accompagne la tendance de la Sécurité sociale à réduire son champ d’intervention via l’augmentation des restes à charges (franchises, forfait) , la limitation de ses ressources, et la limitation de l’accès aux soins.

Le Medef est doublement gagnant : d’une part il organise ainsi une nouvelle attaque contre la place de la Sécurité sociale en la marginalisant encore un peu plusdans la prise en charge du remboursement des soins.

D’autre part, il ouvre toujours un peu plus le marché au patronat des assurances comme le groupe AXA dont un ex-patron, Denis Kessler, s’était fait connaître il y a quelques années en déclarant « vous voulez savoir ce qu’il faut faire pour la protection sociale : prenez le programme du CNR et faites exactement le contraire ! »

Et pour ceux qui auraient des doutes, il faut lire l’accord national interprofessionnel.

L’article 1 le prévoit : « Dans le cadre de futurs accords de branche qui seront signés pour parvenir à cet objectif les partenaires sociaux de la branche laisseront aux entreprises la liberté de retenir le ou les organismes assureurs de leur choix. »

Pas la peine de réfléchir longtemps pour imaginer qui aura la préférence du Medef.

Si au Parlement les députés socialistes valident par la loi cet accord minoritaire, le Medef aura fait un grand pas dans sa stratégie de privatisation de la protection sociale.

La Gauche anticapitaliste dénonce cet accord national interprofessionnel sous cet angle également et réaffirme, avec le Front de gauche dans le cadre de la bataille contre l’austérité et ses conséquences, la perspective d’un gouvernement anti-austérité qui abolirait forfaits, franchises, exonérations et mettrait au cœur de sa stratégie la reconquête de la Sécurité sociale, à 100%, solidaire et universelle.

Roland Foret - publié le 29 janv 2013

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